Commentary

L'effet Drogba

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MONTRÉAL – Doutez-vous encore de l’existence d’un « effet Drogba »? Commencez par considérer la Coupe Rogers, la semaine dernière.
Le nouvel attaquant de l’Impact de Montréal, Didier Drogba, a assisté à une séance du tournoi de tennis, vendredi dernier, au Stade Uniprix. Les caméras l’ont bien remarqué.
Drogba a bien sûr été montré à l’écran géant. Et Rick Moffat, descripteur des matchs de l’Impact sur les ondes de TSN Radio 690 et un observateur de longue date de la scène sportive locale, n’aurait pas pu le rater.
« La foule était déchaînée – ou, devrais-je dire, Didierchaînée. La foule était en délire », s’est rappelé Moffat en entrevue à MLSsoccer.com.
Drogba était encore sur place le lendemain à fréquenter certaines des plus grandes vedettes du tennis.
« Entre ses matchs de simple et de double, Novak Djokovic a pris le temps de se faire prendre en photo avec Didier Drogba, raconte Moffat. Et je me suis dit “Mais bon sang, est-ce qu’il connaît tout le monde?” »
Cette réaction appuie la théorie qui veut que Drogba soit déjà le plus grand nom de l’histoire de l’Impact, devant les Marco Di Vaio et autres Alessandro Nesta. Il convient, à tout le moins, de souligner que le Bleu-Blanc-Noir n’a jamais ressenti un tel vent de célébrité, ce qui amène la question suivante : Drogba pourrait-il être le plus grand sportif professionnel à s’être établi à Montréal?
D’abord, une mise en garde.
Montréal demeure une irréductible ville de hockey, ce qui signifie que certains athlètes sont hors d’atteinte, même pour un Drogba. Maurice Richard et Jean Béliveau, par exemple, sont des héros québécois et canadiens. Ils ont transcendé leur sport, et ils méritent encore le respect de tous, peu importe l’origine, la langue ou l’équipe à laquelle on s’identifie. Même David Beckham n’a pu déloger Magic Johnson dans les cœurs californiens. Il semble donc juste d’exclure les sportifs du Canada pour situer Drogba dans son contexte historique.
Montréal a attiré bon nombre de grands joueurs au fil du temps. Les regrettés Expos, du baseball majeur, ont aligné des légendes comme Andre Dawson, Gary Carter, Randy Johnson et Pete Rose.
« Mais Pete Rose est plutôt tristement célèbre (en raison d’un scandale de pari sportif), alors que Didier Drogba est un ambassadeur des Nations Unies et un agent de paix dans son pays », rappelle Moffat.
La liste de grands noms du Canadien de Montréal comprend un certain nombre d’Américains et d’Européens – les Chris Chelios, Mats Näslund et Petr Svoboda, entre autres. Moffat se souvient aussi du porteur de ballon Johnny Rodgers, gagnant du trophée Heisman en 1972, qui avait snobé la NFL pour signer avec les Alouettes, de la Ligue canadienne de football, pour les quatre premières années d’une carrière terminée trop tôt en raison d’une blessure.
Emmanuel Lapierre est professeur d’histoire au Conservatoire Lassalle, à Montréal. S’il est vrai que ses intérêts sportifs – tant dans la vie qu’au travail – tournent surtout autour du hockey et de la place du sport dans la société, il s’est aussi intéressé au soccer en raison du FC Barcelone, où il a remarqué des ressemblances « troublantes » avec le Canadien sur le plan de la popularité, de l’identité et des succès.
Selon lui, la réaction qu’a suscité Drogba depuis son arrivée à Montréal, le 29 juillet, donne à croire qu’il pourrait certainement dépasser, en ce qui a trait à la popularité et à l’importance, tous ces autres sportifs qui ont élu domicile à Montréal dans le passé.
« Toutes proportions gardées, on est peut-être en train de débuter un nouveau chapitre de transition où, peut-être, dans l’espace médiatique et dans le cœur des gens, le soccer va prendre une place de plus en plus grande, explique M. Lapierre en entrevue. Il est trop tôt pour dire si ce sera au détriment du hockey. On a déjà vu le hockey et le baseball être également populaires, et l’un et l’autre ne se causaient pas nécessairement de mal. Je sens qu’on entre dans une espèce de nouvelle ère, et certainement que l’acquisition de ce joueur pourrait être, plus tard, en être un symbole ou marquer d’une pierre blanche une nouvelle étape qui s’amorce sur la scène sportive montréalaise. »
Cette transition se fait déjà sentir. Ce samedi, lorsque Drogba fera ses débuts contre le Philadelphia Union, le Stade Saputo accueillera sa première salle comble en presque deux ans.
Il est difficile de prévoir l’attachement des partisans envers un joueur, ajoute M. Lapierre, en raison de la pléthore de facteurs qui entrent en ligue de compte. Mais la langue française, selon lui, pourrait rendre la relation entre Drogba et les partisans réellement réciproque.
« Un partisan de sports montréalais m’a demandé ce week-end si je croyais que Didier Drogba, c’était plus gros que quiconque en ce moment sur la scène sportive montréalaise, se souvient Moffat. Si on regarde Facebook ou Twitter, il est certainement plus gros que tous les joueurs de hockey. On parle ici de millions d’abonnés. Je pense que le Canadien, la franchise, a peut-être plus d’un million d’abonnés. Penses-y. L’autre homme, à lui seul, a huit millions d’abonnés sur Facebook! »
Moffat n’est pas prêt à dire que Drogba est plus gros, dans la ville à l’heure actuelle, que les vedettes du Canadien, Carey Price et P.K. Subban. Mais aucun d’eux ne transcende son sport comme Drogba.
« Il y a aussi la façon dont les gens crient, souligne Moffat. Quand ils ont vu son visage sur l’écran géant, il y a eu une certaine tonalité – ce n’était pas des applaudissements ou des acclamations polies. On a entendu un cri que je n’avais pas entendu au soccer depuis Beckham. Quand Beckham a enlevé son maillot après le match au Stade en 2012, c’était un cri aigu. Ce n’est pas seulement le fait que [Drogba] est une grande vedette du soccer, de Chelsea ou de la Côte d’Ivoire. C’est une vedette mondiale. »